« la gardienne de la forêt », nathalie bernard

depuis mardi, vous avez pu croiser à la librairie Brandon, 15 ans, que nous accueillons pour un stage « découverte »!

très motivé, Brandon s’est plongé hier dans la lecture d’un roman; et voici aujourd’hui sa note de lecture!

[lu par Brandon]

Diana est très jeune quand son frère est assassiné en Amazonie. Déterminée, elle s’engage auprès des Gardiens de la forêt amazonienne qui luttent au péril de leur vie contre la déforestation et qui protègent les tribus autochtones menacées.

Un roman qui mêle drame et émotions et qui surtout rappelle l’impuissance des bonnes volontés contre la folie humaine.

Nathalie BERNARD, La Gardienne de la forêt. Éditions Thierry Magnier, 2023.


« le murmure de la mer », hippolyte

[lu par Jean-Lou]

Avec ce roman graphique publié chez Les Arènes BD, Hippolyte nous embarque à bord de l’Ocean Viking, bateau appartenant à S.O.S. Méditerranée qui vient en aide aux embarcations de migrants. Un ouvrage bouleversant qui nous transporte au cœur des drames qui se jouent à nos frontières

Véritable reportage dessiné, Le Murmure de la mer documente avec clarté les enjeux de l’immigration en Méditerranée. Hippolyte met des chiffres sur les flux migratoires, interroge les questions diplomatiques et expose la réalité politique de nos frontières européennes. Il nous présente aussi S.O.S. Méditerranée : son fonctionnement, ses actions et ses luttes au quotidien. Il rejoint l’association à Marseille, lors de la période Covid mais ne peut embarquer que plusieurs mois après. On redécouvre l’inhumanité des États européens qui ont bloqué les associations humanitaires en pleine crise sanitaire : mis en quarantaine, «les bateaux sont à l’arrêt, pas les migrants».

Une fois à bord de l’Ocean Viking, Hippolyte va au-delà du simple reportage, évite la froideur statistique de ces décomptes qui «passent et rebondissent sur nous». Sous son crayon, la réalité devient palpable, vivante, dans toute sa cruauté mais aussi ces moments de grâce.

On découvre le quotidien à bord, le rythme du bateau avec les quarts, les repas, le temps qui passe et l’équipage qui apprend à se connaître. On ressent la tension lors de ces heures interminables sur le pont, jumelles vissées sur le nez pour repérer une embarcation en détresse. On vit le stress et l’action des interventions malgré des conditions météos parfois dantesques. On pleure lorsque la nuit sur un zodiac, Hippolyte se retrouve avec un bébé camerounais dans les bras, sauvé du naufrage.

Il met des mots, des dessins et surtout des visages sur ce qu’il se passe en Méditerranée : Jessica, Souleyman, Tomasz, Youssouf Laurene, Anna, Hassan, Simone, Aboubacar… Ces sauveteurs dont la force et le courage forcent l’admiration mais aussi et surtout tous ces migrants. Tous ces portraits d’hommes et de femmes dont les destins racontent la détresse de vivre, l’espoir, l’ignominie de la situation libyenne et l’injustice de nos sociétés modernes.

Quant à la forme, tout concourt à faire de ce texte déjà puissant une œuvre graphique irréprochable. Hippolyte oscille entre son récit dessiné à l’aquarelle et des croquis pris sur le vif, des d’extraits de carnets, des portraits, des planches en double-page mais aussi des photos. C’est riche, maîtrisé et beau, tout simplement.

On ressort de la lecture ébranlé, attristé, désespéré, indigné, révolté, en un mot : bouleversé…

Hippolyte répète tout au long de son récit la même phrase pour résumer ce qu’il a vécu, ce qui se passe sur ce bateau : «C’est beaucoup, et c’est rien. C’est avant tout indispensable. Ne serait-ce que pour la mémoire de celles et ceux déjà victimes de la folie du monde. Ne serait-ce que pour ne pas oublier tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui reposent éternellement dans le silence immuable de la Méditerranée.

HIPPOLYTE, Le Murmure de la mer. Les Arènes BD, 2024.


« stella et l’amérique », joseph incardona

Pour bien commencer la semaine, rien de mieux qu’un Incardona décapant !

Branle-bas de combat au Vatican : arrive aux oreilles du pape Simon II qu’une jeune femme guérit paralytiques et autres malades au-delà de l’Océan Atlantique — des miracles en Amérique, ce n’est pas tous les jours ! Les guérisons n’ont lieu qu’au sortir de la couche de la jeune femme – une sainte prostituée, ça coince aux entournures papales… Qu’à cela ne tienne : liquidons la future sainte pour en faire une martyre, pourquoi donc s’encombrer de principes ?

La jeune Stella se retrouve donc en cavale, avec à ses trousses les affreux jumeaux Bronski, le journaliste Luis Molina qui lorgne un Pulitzer et le père Brown, ancien Navy Seal (Delta du Mékong, ça pose son homme tout de même), tout en muscles et modelant fusils d’assaut et sermons avec la même agilité.

« Le souci, avec les frères Bronski, c’est qu’ils étaient un véritable fléau pour la petite part d’humanité ayant affaire à eux. »

Des dialogues tordants, une intrigue au rythme effréné que rien n’essouffle : Incardona en très, très, grande forme romanesque donc !

Joseph INCARDONA, Stella et l’Amérique. Finitude, 2024.


fête de la Sant Jordi 2024

La librairie est ravie d’être de nouveau partenaire de la Sant Jordi que la Délégation en France du Gouvernent catalan met en valeur depuis quelques années sur le territoire français!

Petit rappel si vous aviez oublié ce qu’est la Sant Jordi : la Sant Jordi (notre saint-Georges française) est une fête catalane qui se déroule le 23 avril, journée au cours de laquelle on offrait, depuis les temps bien anciens, une rose, à laquelle s’est ajouté, dans les années 1920, un livre.

Cette fête traditionnelle est donc devenue celle du livre jusqu’à être proclamée par l’U.N.E.S.C.O. Journée mondiale du livre et du droit d’auteur en 1995.

Cervantès et Shakespeare partagent un 23 avril, celui de 1616 : Miguel est inhumé ce jour-là à Madrid, au même moment où William expirait son dernier souffle à Stratford…

La Catalogne à l’honneur : une sélection de livres d’auteurs catalans vous attend à la librairie! Grâce au partenariat avec la Délégation en France du Gouvernement catalan, un joli sac en toile «Sant Jordi» et une rose vous seront offerts pour l’achat d’un livre de notre sélection catalane (dans la limite des stocks disponibles, obviamente…).

Le 23 avril 2024 tombant un mardi, la Sant Jordi prend de l’avance dans les librairies françaises : la fête commence dès maintenant! — un peu de soleil catalan pour réchauffer les cœurs!


collection « Fléchette », éditions sun/sun

Ouvrez grand vos yeux et plongez dans l’incroyable collection « Fléchette » dirigée par Adrien Genoudet et éditée par Céline Pévrier des éditions Sun/Sun !

Présentée sur notre stand lors du festival Littérature Au Centre, la collection prend ses marques à la librairie — on se fait plaisir!

L’idée incroyable d’Adrien Genoudet est de faire dialoguer des images du fonds constitué par Albert Kahn, les « Archives de la Planète », avec des textes d’autrices et d’auteurs de notre temps.

On peut être banquier d’affaires et animé par un idéal de paix universel : tel était Albert Kahn (1860-1940), passionné de voyages et soucieux de construire un inventaire visuel des transformations de son temps, une « sorte d’inventaire photographique de la surface du globe, occupée et aménagée par l’homme, telle qu’elle se présente au début du XXe siècle ». Ainsi naît le vaste projet documentaire des « Archives de la Planète ». Douze opérateurs sont envoyés sur le terrain, en France et à l’étranger, entre 1909 et 1931. Deux inventions des frères Lumière sont utilisées : le cinématographe et l’autochrome, premier procédé photographique en couleur naturelle. Ces opérateurs parcourront quatre continents, une cinquantaine de pays; un directeur scientifique est recruté par Kahn, ce sera Jean Brunhes, l’un des promoteurs en France de la géographie humaine.

Chaque ouvrage comporte, insérée en première page, une reproduction de l’autochrome choisie. Saluons un superbe travail éditorial, soigné de bout en bout – jusqu’au trou de fléchette en couverture dont le nombre indique le numéro du titre dans la collection 😉

Philippe Artières, Le Dos à l’histoire. Sun/Sun, 2022. 1 trou.

Hélène Gaudy, Villa Zamir. Sun/Sun, 2022. 2 trous.

Marie-Hélène Lafon, Où sont les hommes ?. Sun/Sun, 2022. 3 trous.

Fanny Taillandier, Foudres. Sun/Sun, 2022. 4 trous.

Marcelline Delbecq, Envolée. Sun/Sun, 2023. 5 trous.

Marie Cosnay, Toi et ton frère. Sun/Sun, 2023. 6 trous.

Patrick Boucheron, Les Colonnes de San Lorenezo. Sun/Sun, 2023. 7 trous.

Amélie Lucas-Gary, Féticheuses. Sun/Sun, 2023. 8 trous.


« au cœur de l’hiver », jean-marc rochette

[lu par Jean-Lou]

Après sa trilogie alpine en bandes-dessinées, Jean-Marc Rochette tente aujourd’hui l’aventure du roman et signe un texte d’une grande finesse. Toujours en montagne, on se retrouve cette fois-ci au village des Étages, un hameau isolé à 1600 m d’altitude, en plein cœur du Parc National des Écrins.

Le récit nous embarque tout un hiver dans ce village coupé du monde : la route n’est pas déneigée et les habitants redescendent en vallée. Seuls Jean-Marc Rochette et sa femme, installés ici depuis 2017, ont décidé d’y passer un hivernage de plus de trois mois. Le voisin, au singulier, réside à plusieurs kilomètres et vit comme eux, en reclus.

Il nous raconte avec beaucoup de tendresse leur vie là-haut, leur relation amoureuse autour de ce projet, dans le réconfort du poêle qui ronronne. Rythmé par l’arrivée de la neige et l’hiver qui progresse, on lit avec plaisir le journal ordinaire de cette vie extraordinaire. Pour ceux qui connaissent le dessinateur, c’est aussi l’occasion de découvrir avec curiosité les coulisses de ces heures de travail, penché sur sa table à dessin.

Et aussi et peut-être surtout, Au cœur l’hiver est un récit de montagne. Rochette sait dessiner mais aussi écrire cet émerveillement sans cesse renouvelé. La majesté de ce ciel d’hiver d’un bleu incomparable, le silence du torrent figé dans la glace, le grondement terrible des tempêtes et des avalanches, le drame de ces tâches rouges dans la neige après le passage des loups… Il sait laisser place à la vie et la beauté des Écrins, sublimés par ce froid souverain qui fait scintiller les cimes.

Voilà. Par petites touches, en quelques scènes savamment racontées, ces trois mois passent vite à leurs côtés. On se met à rêver de cette demi-heure quotidienne de soleil où leur journée s’arrête, assis sur un banc dans le verger — symbole de ce quotidien apaisé, loin du fracas du monde.

Jean-Marc ROCHETTE, Au cœur de l’hiver. Éditions les Étages, 2024.


« eva et les bêtes sauvages », antonio ungar

[lu par Jean-Lou]

Eva, blessée, se vide de son sang au fond d’une barque à la dérive, seule face à l’immensité de la jungle colombienne. Le nouveau roman d’Antonio Ungar nous saisit dès la première page : nous voilà liés au destin d’Eva.

Infirmière à Bogota, égarée dans les démons de la fête, Eva décide de changer de vie pour protéger sa fille et renouer avec sa vie. Elle s’installe à Puerto Inirida, petit village perdu sur les rives sinueuses de l’Orénoque. Là-bas, elle s’engage auprès du Docteur Andrade, médecin désabusé qui s’évertue à faire tourner un dispensaire pour aider les populations locales.

Ungar nous fait rencontrer une série de personnages poignants, qui luttent pour trouver une parcelle de bonheur face à un quotidien qu’ils subissent. On s’attache à ces vies dissolues : des prostituées en quête d’indépendance, un orpailleur las des trafics de son patron, le fils du gouverneur, richissime, qui préférerait renoncer à son héritage et quitter cet enfer…

L’auteur dresse à travers eux le portrait terrible de la Colombie des années 90, celle des affrontements entre FARC, narcotrafiquants et paramilitaires – un pays empêtré dans une violence omniprésente, crue, cruelle.

Avec ce court roman captivant, Ungar nous plonge au cœur de cette jungle où les bêtes sauvages sont décidément trop humaines.

Antonio UNGAR, Eva et les bêtes sauvages, trad. de l’espagnol par Robert Amutio. Éditions Noir Sur Blanc, « Notabilia », 2024.


encore un bout de poésie

« J’ai toutes ces bêtes en moi / murmurais-tu / laisse-moi la quiétude / d’être parmi mes faons / mes gazelles / et ce bruit dans la nuit / quand elles se replient »

(François EMMANUEL, Le Dit de la renarde. Esperluète Éditions, 2024)


« zorrie », laird hunt

«Le difficile en littérature est de savoir quoi ne pas dire» écrivait Flaubert.

Laird Hunt dans son nouveau roman, Zorrie, relève le défi avec force et une grâce resplendissante.

De Zorrie Underwood, née au début du XXe siècle dans l’état de l’Indiana, Hunt ne nous dira pas tout, laissant les ellipses temporelles faire œuvre d’imagination, de rêverie.

Zorrie traverse le siècle, sans plainte, toute en discrétion et opiniâtreté. Les drames personnels ne l’anéantiront pas. Elle se tiendra toujours droite, face à la vie, humblement et avec détermination.

Hunt rend ici un hommage bouleversant à ces vies simples, faites de labeur.

Si l’auteur convoque Flaubert et le «cœur simple» de son personnage Félicité, convoquons, pour notre part, les «vies minuscules» de Pierre Michon.

ZORRIE, ou comment écrire une vie simple en majuscules.

Laird HUNT, Zorrie, trad.de l’anglais (États-Unis), par Anne-Laure Tissut. Éditions Globe, 2024.


« rabbit hole », mike nicol

le polar de la semaine!

«Down the rabbit hole» : souvenez-vous, c’est le titre que donna Lewis Carroll au premier chapitre de son roman Alice’s Adventures in Wonderland — «tomber dans le terrier du lapin ». La longue chute d’Alice la menait au pays des merveilles.

Dans Rabbit Hole, de lapin et de terrier, il en sera peu question; en revanche, de panier de crabes et de ses hôtes aux pinces puissantes et tranchantes, là, on va être servi ; surtout quand on s’appelle Fish Pescado et qu’on y tombe malgré soi.

Mike Nicol reprend, dans ce nouveau roman policier, son duo de personnages sud-africains : Fish Pescado, détective privé-surfeur-dealer d’herbe, et Vicki Kahn, avocate-ancienne agente des services secrets-joueuse de poker.

Le pays des merveilles : l’Afrique du Sud, sa nation arc-en-ciel post-Apartheid, ses plages magnifiques aux couchers de soleil somptueux.

De l’autre côté du miroir : des responsables politiques aux idéaux démocratiques désormais quelque peu flottants, une corruption massive des services étatiques, une société minée par la violence, des plages de Cape Town où il ne fait pas bon s’y promener au soleil couchant.

Des dollars sont prêts à tomber par millions dans les poches. Pas mal de personnes ont des poches, voire de très grandes poches. Certaines poches sont facilement identifiables, d’autres moins. Qui remplit les poches de qui, qui met la main dans la poche qui n’est pas la sienne, qui fait croire qu’il n’a pas de poche : c’est tout l’art de Mike Nicol de nous entraîner dans ce roman d’espionnage, à l’enjeu géopolitique complexe et où les miroirs ne renvoient pas forcément le bon reflet.

Ces 500 pages s’avalent d’une traite : phrases courtes, récit au présent, galerie de personnages, dialogues caustiques, rythme soutenu – le style nerveux de Mike Nicol est une vraie réussite !

Saluons la traduction !

Mike NICOL, Rabbit Hole, trad. de l’anglais (Afrique du Sud) par Jean Esch. Gallimard, « La Série Noire », 2024)