« le chat et le noir », mia couto et stanislas bouvier

L’ALBUM DU MERCREDI!

[lu par Charlotte]

L’auteur mozambicain Mia Couto, bien connu – et apprécié ! – chez nous avec notamment Le Cartographe des absences (éditions Métailié), livre ici un sublime album jeunesse teinté de cette ambiance nébuleuse si particulière à ses textes. D’une langue soutenue aux sonorités joueuses, il nous y conte l’histoire d’un jeune chat curieux de franchir la ligne qui sépare le jour de la nuit. Malgré les mises en garde de sa mère, la ligne est franchie, un soir ; le chaton se retrouve face à l’Obscur, et le dialogue commence.

Conte poétique aux mille interprétations, récit initiatique, cet album onirique interroge, surprend, fascine. Les éditions Chandeigne ont intégré le texte original en portugais dans les dernières pages, pour une lecture bilingue.

Mia COUTO et Stanislas BOUVIER, Le Chat et le noir, trad. du portugais par Diogo Quintela et Bernard Tissier. Chandeigne, 2022.


mia couto

Nos éditeurs français nous gâtent : en moins de six mois, ils nous donnent à lire deux textes du grand auteur du Mozambique, Mia Couto!
Les éditions Métailié publiaient en septembre dernier le nouveau roman de Couto, Le Cartographe des absences — un très grand roman tant dans la forme que dans le fond; un texte ambitieux sur la mémoire, la création, les violences de l’Histoire et ses fantômes.
Les éditions Chandeigne viennent, quant à elles, de faire paraître un recueil de nouvelles fort enthousiasmantes, Le Chasseur d’éléphants invisibles, recueil dans lequel on pourra découvrir que Mia Couto sait aussi très bien manier l’humour.
Ces deux ouvrages sont magnifiquement traduits par Élisabeth Monteiro Rodrigues.
L’œuvre de Couto est vaste! S’il fallait extraire deux indispensables, il y aurait évidemment Tombe, tombe au fond de l’eau (Chandeigne) et L’Accordeur de silences (Métailié).


mia couto, l’accordeur de silences

une perle très précieuse dans le flot de la rentrée

Le titre original est Jesusalem, du nom donné par Silvestre Vitalicio à un coin paumé d’un pays en guerre sans nom : une ancienne réserve de chasse abandonnée — Jésusalem, « cette terre-là où Jésus devrait se décrucifier. Et point, final. ».

Silvestre fuit le monde, « l’Autre-côté », et emmène avec lui l’« humanité » : Ntunzi et Mwanito, ses fils ; Aproximado, l’oncle ; Zacaria Kalash, le militaire et domestique ; Jezibela, l’ânesse. Tous ont la peau noire, certains plus claire que d’autres.

Silvestre débaptise et rebaptise tout, homme, bête, fleuve. Il veut habiter dans l’oubli, rester « hors de portée des mots » et devient un tyran.

Dès leur arrivée à Jésusalem, il y interdit les livres, l’écriture, les souvenirs — et la femme. La sienne, Dordalma (Douleur de l’Âme) est morte, mystérieusement. C’est cette mort(e) que Silvestre fuit. Le nom même de Dordalma est banni de Jésusalem mais hante la communauté.

Mwanito, le plus jeune des deux fils de Sylvestre, a onze ans. C’est lui l’accordeur de silence, celui qui « est né pour se taire », qui sait accorder les silences du père depuis la mort de la mère. C’est la voix de ce silencieux qui va dérouler ce récit-conte.

Dans cet endroit échappé du monde, qui « peut être celui du commencement du monde », va surgir une femme, blanche, portugaise. Et « l’humanité » va vaciller.

La langue de Mia Couto porte admirablement ce texte qui, écrit en portugais, laisse entendre une poétique du langage mêlant monde lusophone et monde africain. Il faut saluer le remarquable travail de traduction d’Élisabeth Monteiro Rodrigues.

Mia CUTO, L’Accordeur de silences, traduit du portugais (Mozambique) par Élisabeth Monteiro Rodrigues. Métailié, 2011. Coll. « Bibliothèque portugaise ». 204 p. 19 €

Mia Couto est né au Mozambique en 1955, ancienne colonie portugaise. Il a d’abord étudié la médecine et la biologie à Maputo, puis devient, en 1974, journaliste au quotidien Noticias de Maputo et à l’hebdomadaire Tempo. Il vit actuellement à Maputo où il est biologiste, spécialiste des zones côtières, et il enseigne l’écologie à l’Université.

Une dizaine de titres sont traduits en français.